La Villa Cyrano à Biarritz
À Biarritz, certaines maisons ont une histoire qui dépasse de loin leur simple apparence. C’est le cas de la Villa Cyrano : ce joyau architectural promis à la démolition, a été sauvé… puis déplacé, pierre par pierre, de quelques mètres.
Aux Origines : la Villa Labat face à l’Hôtel du Palais
L’histoire débute en 1900, lorsque Félix Labat, un industriel originaire de Madrid, acquiert un terrain en face de l’Hôtel du Palais. Il y fait construire une villa élégante et un chalet, le chalet Eugène. La maison, d’abord appelée Villa Labat, est une belle réalisation de l’architecte Huguenin, inspirée du style Art Nouveau de Charles Plumet (alors très en vogue à Paris).
Un projet d’hôtel menace la villa
Mais en 1908, Labat prend un tout autre virage. Il envisage de céder le terrain à la société Biarritz Carlton Hôtel Limited, qui prévoit d’y ériger un grand hôtel de voyageurs. La Villa Labat est promise à la destruction. Tous ses matériaux, y compris les murs de clôture, les tapisseries de soie et le chauffage central, sont mis aux enchères. La villa est sur le point d’être dispersée, morceau par morceau.
Un déménagement hors du commun
C’est alors qu’intervient Alfred Boulant, homme d’affaires local, propriétaire du Casino Bellevue, et grand amateur d’architecture. Conscient de la valeur esthétique et patrimoniale de la villa, il décide de la sauver à tout prix. Le 18 février 1908, il rachète l’ensemble des matériaux de la villa, puis, dès le lendemain, acquiert un terrain situé trente mètres plus haut dans la même rue.
Plutôt que de reconstruire une nouvelle maison, Alfred Boulant relève un défi audacieux : déplacer la Villa Labat pierre par pierre, pour la rebâtir à l’identique. En à peine deux mois, l’opération est menée à bien avec une précision impressionnante. La villa renaît, intacte, dans son nouvel emplacement.
De Labat à Cyrano : un hommage à Edmond Rostand
Pour marquer cette nouvelle vie, Boulant rebaptise la demeure : elle devient Villa Cyrano, en hommage au succès littéraire d’Edmond Rostand, auteur de Cyrano de Bergerac. Le choix du nom n’est pas anodin : avec ses ornements raffinés, ses courbes élégantes et son air théâtral, la villa semble sortie tout droit d’un décor de scène.
Une résidence convoitée
Entre 1916 et 1921, la villa accueille un résident de marque : Sam Park, vice-consul des États-Unis à Biarritz, y vit avec sa famille. Un peu plus tôt, elle aurait même pu devenir la résidence des enfants du tsar Nicolas II, dont le séjour prévu en 1912 a été annulé à cause des tensions dans les Balkans, prémices de la Grande Guerre.
Aujourd’hui, une villa qui veille sur Biarritz
Toujours visible sur l’avenue de l’Impératrice, la Villa Cyrano demeure un symbole discret mais fort de la passion pour le patrimoine, de la créativité architecturale et du goût du défi. Sans l’intuition d’un homme, ce chef-d’œuvre aurait disparu à jamais.
La Villa Cyrano est aujourd’hui d’autant plus précieuse qu’elle est l’unique réplique conservée d’un hôtel particulier parisien construit par Charles Plumet, aujourd’hui disparu. Son style Art Nouveau, rare à Biarritz, en fait une pièce unique dans le patrimoine architectural local.